Lorsque l'écriture raconte la peinture...
La jeune fille à la perle | tracy chevalier
4 avril 2022

Titre | La jeune fille à la perle
Auteur | Tracy Chevalier
Date de parution | 2002
Nombre de pages | 320
J’ai été transportée :
🤍 Un peu
🖤 Beaucoup
🤍 Passionnément
🤍 À la folie
Ce tableau de Vermeer, La jeune fille à la perle, Tracy Chevalier décide d'en inventer l'histoire. Dans ce roman ambitieux, l'auteure y mêle beaucoup de finesse, d'émotion et de sensualité. Un exercice de style réussi !
Portrait express de l'auteure
Tracy Chevalier est une écrivaine ayant la double nationalité, américaine et anglaise. Elle s’est spécialisée dans les romans historiques. Sa carrière d’écrivaine débute en 1997 avec La vierge en bleu, mais c’est avec La jeune fille à la perle qu’elle connaît le succès, un livre inspiré par le célèbre tableau de Vermeer. Le charme insaisissable qui s’échappe de cette peinture, Tracy Chevalier en développe une fascination depuis ses 19 ans. Elle aime les couleurs, ce jaune et ce bleu dont l’arrière-plan foncé en fait ressortir l’éclat, les jeux d’ombre et de lumière sur la peau de la jeune fille, son expression indéfinissable, l’humidité de ses yeux… En 1999, Tracy Chevalier décide d’en écrire un roman. Il est accueilli par cinq millions de lecteurs qui se prennent, eux aussi, d’émerveillement pour cette peinture énigmatique. Surnommée « La Mona Lisa du nord », elle a ce petit quelque chose qui nous est à tous familier.

Résumé du trajet
1664. Griet, jeune fille curieuse et timide issue d’une famille pauvre de Delft, est engagée comme servante dans la maison de Johannes Vermeer pour s’occuper des six enfants de la famille et surtout pour faire le ménage dans l’atelier du peintre. Celui-ci, sentant le potentiel artistique qui se dégage de la jeune fille, lui fait découvrir petit à petit les rudiments de l’art qu’il exerce. Leur proximité va entraîner de nombreuses tensions au sein de la maison des Vermeer, ainsi que des rumeurs qui vont rapidement se propager en ville.
Pourquoi se laisser embarquer
À mi-chemin entre roman historique et roman d’amour. Tracy Chevalier décide de donner vie à cette jeune fille en inventant son histoire. Elle nous emmène en plein coeur des Pays-Bas, dans la ville de Deft en 1664. Griet, une jolie et timide jeune fille issue d’un milieu défavorisé, doit travailler pour faire survivre sa famille. Passant ainsi de l’innocence aux tourments de la vie, et de l’enfance aux désillusions, Griet est embauchée comme servante dans la maison du peintre Vermeer. Elle gère tout autant les tâches ménagères, les six enfants du couple Vermeer, que le nettoyage de l’atelier du maître. La douceur, la sensibilité et le dynamisme de Griet, Vermeer n’y est pas insensible. Il lui devine un potentiel artistique peu commun, ce qui le conduit rapidement à se rapprocher de Griet. Cette relation naissante n’est pas au goût de la femme de l’artiste, de sa belle-mère et de la gouvernante. Mais malgré les tensions, un tableau naîtra de ce lien indéfinissable entre Griet et Vermeer.

La jeune fille à la perle est très exposée, imprimée, déclinée sur différents supports, et même détournée. Bansky l’a notamment graffée sur un mur de Bristol, lui faisant porter une alarme de sécurité à l’oreille, à la place de la perle. La peinture originale de Vermeer est actuellement exposée à la Mauritshuis à La Haye, et continue de rassembler les foules, intriguées par ce chef-d’œuvre emblématique des Pays-Bas.
L’écriture de Tracy Chevalier sert le récit, à plusieurs titres. Elle nous livre cette histoire à la première personne, du point de vue interne de Griet. Les mots simples qu’elle utilise appuient l’innocence de la jeune femme, son empathie et sa candeur. Par ailleurs, l’auteure recréé la vie de Deft au XVIIe siècle avec beaucoup de justesse et de réalisme, plongeant le lecteur dans une époque ancrée dans l’Histoire. Elle utilise également de nombreuses références aux peintures de Johannes Vermeer, autant de clins d’œil insérés dans le récit de manière très spontanée. Enfin, Tracy Chevalier décrit à merveille le rapport d’intimité sensuel qui lie les deux protagonistes, tout en laissant la possibilité au lecteur de comprendre de cette relation ce qu’il veut bien y trouver. Une écriture élégante, au service d’une histoire, imaginée mais non moins convaincante !
Passage choisi
« Arrêtez. »
Je me figeai, terrifiée à l’idée que j’avais fait quelque chose qui fut contraire à ses désirs.
« Ne bougez plus. »
Il me dévisageait comme si un fantôme était apparu dans son atelier.
« Excusez-moi, Monsieur, dis-je, en faisant tomber mon chiffon dans le seau d’eau. J’aurais dû commencer par vous demander la permission. Mais comme vous ne peigniez pas ces temps derniers… »
Il prit un air perplexe, puis secoua la tête.
« Oh ! les vitres… Non, non, vous pouvez continuer votre travail. »
J’aurais préféré ne pas les laver en sa présence, mais comme il restait là, je n’avais pas le choix. Je rinçai mon chiffon, le tordis et le passai à nouveau sur les carreaux, à l’intérieur et à l’extérieur.
Ayant terminé, je reculai pour juger de l’effet. Le jour entrait, limpide. Il se tenait toujours derrière moi.
« Etes-vous satisfait, Monsieur ? demandai-je.
— Regardez-moi encore une fois par-dessus votre épaule. »
J’obéis. Il m’observait. Il s’intéressait de nouveau à moi.
« La lumière est plus limpide maintenant. En effet. »
Le lendemain, la table, recouverte d’une nappe rouge, jaune et bleue, avait retrouvé sa place dans l’angle où il travaillait. Il avait placé une chaise contre le mur du fond et accroché une carte au-dessus de celle-ci.
Il s’était remis à peindre.
Pour aller plus loin
Du best-seller de Tracy Chevalier, Peter Webber en réalise un film éponyme en 2004. Scarlett Johansson tient brillamment le rôle de Griet, et Colin Firth lui donne la réplique en incarnant Vermeer. Le rythme plutôt lancinant du film se concentre sur une atmosphère pesante, des jeux de lumière réussis (le film a reçu le prix 2004 de la Meilleure photographie au Festival de San Sébastien) et le jeu brillant de Scarlett Johansson. Peter Webber souhaitait justement « raconter une histoire essentiellement par l’image » : il privilégie l’expressivité et le talent silencieux de son actrice à la multiplicité des dialogues. Le mystère et la tension du roman y sont assez fidèlement retranscris. Même si un livre est toujours plus réussi que son adaptation cinématographique… n’est-ce-pas ?