Une histoire sur le fil du rasoir !
la moustache | Emmanuel Carrère
29 mars 2022
Titre | La moustache
Auteur | Emmanuel Carrère
Date de parution | 1986
Nombre de pages | 182
J’ai été transportée :
🤍 Un peu
🤍 Beaucoup
🖤 Passionnément
🤍 À la folie
Une de celles qui marquent. La moustache s’empare de notre curiosité dès la première phrase. Et ce, jusqu’à la dernière. Emmanuel Carrère nous offre une intrigue originale et vertigineuse dans laquelle se plonger sans tarder !
Portrait express de l'auteur
La question de l’identité. C’est ce sur quoi tourne toute l’œuvre romanesque d’Emmanuel Carrère. Né à Paris en 1957, il est d’abord critique de cinéma pour Télérama et Positif puis devient écrivain, scénariste et réalisateur. Son premier roman, L’amie du jaguar, paraît en 1983. Une fiction qui expose déjà sa fascination pour la complexité humaine. Emmanuel Carrère écrit pour comprendre, pour « prendre au piège quelque chose qui [lui] échappe et qui [le] mine ». Il aime glisser de l’étrange dans le réel, et révéler certains traits de la nature humaine grâce à l’absurde. En 1986, Emmanuel Carrère publie un livre troublant, La moustache : « En moins de 150 pages, il vous met K.-O. » (John Updike , New Yorker).
Résumé du trajet
Imaginez un peu. Vous êtes dessinateur et habitez Paris avec votre compagne. Votre signe particulier ? Une moustache qui vous caractérise depuis si longtemps que votre femme et votre entourage ne vous ont jamais connu sans. Mais un soir, sans prévenir, vous prenez la décision incongrue de la raser. Pensant faire mouche et surprendre vos proches, vous vous délectez déjà de leurs réactions. Or… personne ne semble le remarquer. Pire, votre femme et vos amis vous soutiennent que vous n’avez jamais porté de moustache ! Comment est-ce possible ? Vous fait-on une mauvaise blague ? Ou est-ce vous qui devenez fou ?
Pourquoi se laisser embarquer
Aux certitudes, l’auteur leur a toujours préféré les interrogations. Ici, c’est à partir d’une simple moustache qu’est posée la question du regard de l’autre et de notre aptitude à exister sans lui. Car si ce quiproquo absurde fait basculer le personnage dans une vie qui ne sera plus tout à fait la même, il embarque également le lecteur qui n’a plus qu’une envie : élucider cette énigme avec lui !
Oscillant brillamment entre réalisme et étrangeté, Emmanuel Carrère sait jouer avec nos nerfs. Car pour donner plus de corps à son récit, il le plante dans un décor bien réel : à Paris, en Chine ou encore sur l’île de Java. De nombreux détails réalistes sont livrés au fil des pages et favorisent la vraisemblance de l’histoire. Ce personnage, ce pourrait être nous !
C’est dans cette réalité qu’Emmanuel Carrère aborde avec singularité le thème de l’identité et de la folie. Car très vite, tout dérape… L’absence de réaction de ses proches va plonger le protagoniste dans le brouillard d’un monde double. Le sien, où il a bel et bien porté la moustache. Et celui des autres, pour qui elle n’a jamais existé. L’auteur désigne son personnage par le pronom personnel « il », de telle sorte qu’on ne connaîtra jamais son prénom. Un détail qui renforce habilement ce jeu de perte d’identité.
L’histoire est racontée du point de vue interne du personnage, pour une immersion plus percutante du lecteur. Les phrases s’allongent à mesure que le personnage perd pied, entre isolement et incompréhension. Construit dans une atmosphère kafkaïenne, le récit glisse vers un cauchemar éveillé, comme Emmanuel Carrère sait si bien les mener. Le protagoniste n’a plus aucun repère dans son environnement immédiat qui lui apparaît alors étrange, anxiogène et hors de contrôle. Dans cette mécanique qui déstructure le réel, le lecteur s’identifie au personnage, jusqu’à partager ses angoisses et un réel malaise, avouons-le. Alors… Qui ment ? Où est la vérité ? Que doit-on croire ? Découvrez ce récit orignal regorgeant de surprise, qui vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page !
Passage choisi
Il avait terminé, à présent. Les yeux mi-clos, tous les muscles au repos, il détaillait dans le miroir son propre visage, dont il s’amusa à exagérer l’expression de béatitude humide puis, changeant à vue, de virilité efficiente et déterminée. Un reste de mousse adhérait au coin de sa moustache. Il n’avait parlé de la raser que par plaisanterie, comme il parlait quelquefois de se faire couper les cheveux très courts.
Pour aller plus loin
Après avoir co-scénarisé en 1998 son propre roman paru trois ans plus tôt, La classe de neige, Emmanuel Carrère revient au cinéma en 2004 avec Retour à Kotelnitch, dont il est le réalisateur. En 2005, l’adaptation au cinéma de La moustache est sa première réalisation de fiction. Vincent Lindon y incarne Marc (car pour l’occasion, un prénom est enfin donné au personnage !) et Emmanuelle Devos, sa femme.
Avec talent, Emmanuel Carrère parvient à recréer l’atmosphère piquante et angoissante de son roman. Dans le film, le jeu de Vincent Lindon sert le personnage : ses mots, ses gestes, ses regards nous exposent à sa propre vérité. Et si techniquement, les plans sont plutôt classiques, un soin particulier a été porté sur le flou des arrière-plans, amplifiant encore davantage tout le mystère de cette intrigue.
